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Et pourquoi pas arrêter les clichés ?

Dernière mise à jour : 9 juin 2022

VOYAGE DANS LE TEMPS JUSQU'AU MOYEN ÂGE !



 

L’Histoire est une science où fantasmes, clichés, ou encore fausses interprétations vont bon train. Mais on ne va pas se mentir, la période qui en prend le plus pour son grade reste sans conteste le Moyen Âge.


Époque que l’on comprend couramment entre le V°s et le XV°s, elle est le plus souvent présentée comme la période de l’histoire occidentale la plus sombre et décadente qui soit. Son appellation en est d’ailleurs un témoin: le terme de « Moyen Âge » est identifié et majoritairement construit par les historiens du XIX°s tels que Jules Michelet, qui présentait l’époque médiévale comme une période d’« entre-deux » dans l’Histoire. Un âge moyen, un âge sombre de l’Europe qui serait pris en étau entre les deux périodes de prospérité que sont l’Antiquité et la Renaissance. Cela va de pair avec des très nombreuses expressions dévalorisantes qui fleurirent au fil du temps dans l’historiographie (et le langage courant) pour caractériser cette période: « âge sombre » ou encore « âge obscur ». Autant d’expressions influencées par l’historiographie anglo-saxonne qui n’a pas manqué de coller à la peau de l’époque médiévale l'expression de « Dark Ages », servant à désigner toute période considérée comme funeste ou négative de l'histoire d'un pays.


À quoi s’ajoute l’influence de la culture populaire et notamment de l’univers cinématographique. Combien de personnes parmi nous n’ont pas cette vision manichéenne de l’époque médiévale opposant d’un côté les tout puissants et de l'autre les très pauvres ? Entre d’un côté un monde de chevalerie, d’histoires épiques ou de romances courtisanes et, d’un autre, un monde de violences, peuplé d’arriérés et de fléaux ?


Autant de visions classiques et caricaturales qu’il s’agit, comme tend à le faire l’historiographie récente, de considérablement nuancer. Pour ce faire, je compte bien debunker pour vous 5 clichés de l’époque médiévale qui ont la vie dure.


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Propos liminaire:

Pour ne pas me faire accuser de « bricolage historique » et sauver mes profs de la syncope, il est nécessaire de justifier le propos. Mon article s’appuie sur des sources toutes tirées de l’Institut National des Recherches Archéologiques, ainsi que sur l'excellent ouvrage de Michel Huynh, Pauline Duclos-Grenet et Laetitia Zouita; Sacré Moyen âge ! pour en finir avec les idées reçues (2011). En clair, des valeurs sûres. À noter aussi que cet article traite du Moyen Âge dans une vision élargie à toute l’Europe et ne se focalise pas seulement sur le Royaume de France: ainsi les exemples peuvent illustrer des pays/domaines divers. Ce choix vise à illustrer que cette vision souvent trop rabougrie de la période est bien accolée au Moyen Âge en lui-même, et non pas à un seul lieu ou à une seule période spécifique de ce dernier. Bien que le champ de l'étude considéré soit large, mon propos se focalise essentiellement sur l'Europe.

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1 - Comment traiter de ce sujet sans commencer par parler du plus grand cliché, que j’ai présenté dès le début de cet article: « Le Moyen Âge est une période sombre et sans grand intérêt »:


« On n’est plus au Moyen Âge ! » Voilà une exclamation courante qui ne fait que trop bien résumer la piètre idée que l’on se fait du Moyen Âge : une époque prise entre deux périodes de prospérité; une époque marquée par des invasions barbares ravageant la Gaule romaine et des rois fainéants, des seigneurs tyranniques, des intrigues de palais, des guerres incessantes, des famines ou encore des épidémies de peste constantes.


Mais ce sont des visions qui peuvent déjà difficilement tenir la route face à la simple amplitude de la période: 1 000 ans (de la chute de l’empire romain en 476, à la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb en 1492 [dans le découpage historiographique le plus commun/courant]). Comment prétendre qu’une période aussi vaste ne soit qu’un âge « moyen » dénué de toute marque de progrès sinon d'intérêt ? Ce qui n’a pas empêché, a contrario de beaucoup des autres « âges » de l’Histoire qui sont alors qualifiés par une invention ou un fait significatif qui les a marqués (âge du Bronze, âge du Fer…), que celui-ci soit juste qualifié de « moyen ». Dans l’imaginaire collectif, le Moyen Âge se résume souvent à quelques « images iconiques » qui alimentent la culture populaire et la vision réduite que l’on a de ce dernier: cathédrales, châteaux-forts, chevaliers, gentes dames, moines ou encore croisades.

Il y a pourtant tellement de changements entre le début et la fin de cette période, que présenter le Moyen Âge sous cette vision réductrice tient proprement d’une hérésie ! Si l’on effectue un parallèle, cela reviendrait à comparer le monde en 1016 et en 2016 (période là aussi de 1 000 ans pour ceux qui sont forts en maths) et d’affirmer qu’il n’y a, entre celles-ci, aucune différence. De manière générale, l’époque médiévale est source de nombreuses évolutions: de la fusion entre héritage antique et cultures indigènes et germaniques, à la fusion entre croyances profanes et christianisme; elle n’est pas une petite partie moyenne de l’Histoire, mais elle en est un noyau central de celle-ci. Il s’agit bien d’une période foisonnante et inventive dont il faudrait surement plus que ces quelques lignes pour lister l’ensemble des réalisations marquantes:

  • Les crises qui se multiplient aux XIV°s et XV°s, par exemple, voient le renforcement de la solidarité familiale, l’essor des confréries et des fabriques, la création foisonnante d’hôpitaux… : autant de réalisations innovantes et particulières pour faire face aux crises.

  • C’est aussi dans ce contexte que la foi chrétienne se retrouve profondément renouvelée, ce que la naissance puis l’affirmation progressive du purgatoire ne représente que trop bien. Lieu nouveau, sorte de préalable avant l’accession au paradis, il adoucit la sévérité du culte qui présentait, jusqu’alors toute vie, même « relativement déviante », comme en quelque sorte condamnée.

  • Le XIII°s quant à lui, est une période de foisonnement intellectuel, politique et économique. De nombreuses innovations voient le jour telles que le gouvernail d’étambot qui permet une meilleure navigation ou encore la charrue qui vient progressivement remplacer l’araire dans l'agricutlure. Sans oublier un fort développement commercial et une prospérité économique notoire, auxquelles s’ajoutent des modernisations incessantes de l’outil monarchique.


2- « Cachez moi ces pouilleux que je ne saurais voir ! » L’une des autres grandes idées reçues sur le Moyen Âge est que les personnes (notamment celles du petit peuple) étaient sales:





Il est déjà bon de préciser que cette remarque n’a proprement aucun fondement tant l’image que l’on se fait de l’homme médiéval ne coïncide pas précisément avec notre notion (actuelle) de la propreté. Nous sommes tous influencés par des représentations qui dépeignent des personnages à la bouche édentée, habillés de guenilles et recouverts de crasse. Cependant, de nombreuses sources (qu’elles soient écrites ou archéologiques) viennent prouver que cette vision est en grande partie fausse.


Au Moyen Âge, les populations savent qu’une bonne santé est en partie liée à l’hygiène corporelle et domestique. De nombreux ouvrages viennent d’ailleurs appuyer cette thèse: des ouvrages médicaux traduits du latin et de l’arabe notamment le très célèbre Traité des fièvres et de l’urine de Constantin l’Africain, ou encore des écrits d’Europe à partir du XII°s siècle tels que Le Régime du corps d’Aldebrandin de Sienne; insistent sur l'importance de la propreté. En revanche, les méfaits occasionnés par le déficit d’hygiène publique sont beaucoup moins connus.


Aussi l’INRAP insiste-t-elle sur cette fausse idée en évoquant sur son site que: « les archéologues découvrent parfois des vestiges d’étuves (des cuves en bois) et de savons constitués de cendre et de graisse. De petits ustensiles prouvent que l’on se cure les oreilles, les dents, les ongles des pieds et des mains. Il existe des dentifrices naturels (à base de corail en poudre et d’os de seiche). Les dents des squelettes médiévaux comportent bien moins de caries que nos bouches actuelles. Les principaux troubles dentaires concernent la perte des dents liée aux carences alimentaires. »

Les problèmes d’hygiène ne sont cependant pas un mythe absolu. Les déficits les plus notoires dans ce domaine proviennent en réalité de l’insalubrité des lieux de vie, alors monnaie courante au Moyen Âge. Faute d’égouts, les eaux usées croupissent majoritairement dans les zones d’habitation et sont à l’origine de nombreuses maladies. Les matières fécales et les immondices s’accumulent, au même titre, dans les villes, entraînant la multiplication de bactéries nocives. Sans oublier que les fameuses saignées (prélèvements sanguins pratiqués sur un malade et qui concouraient, théoriquement et selon les pensées de l'époque, à améliorer son état), alors très courantes dans la pratique de la médecine, sont directement jetées dans les rues ou dans les rivières. Mêmes rivières où sont aussi nettoyés les linges. À quoi se supplante la présence de rats qui favorise la propagation des épidémies (notamment de peste).



3- « La femme à la maison ? Et puis quoi encore, on est plus au Moyen Âge ! »: slogan féministe actuel qui permet d’opérer un parallèle avec un autre cliché de l’époque médiévale:





On a globalement tous en tête une même image de la femme du Moyen Âge: celle cloîtrée dans son château, occupée à broder en attendant patiemment le retour de son époux; ou bien cloisonnée dans sa petite maison de campagne, s’occupant du logis, du repas et des enfants. Mariée jeune et chargée d’assurer une descendance, elle serait considérée comme inférieure à l’homme, volontiers associée au péché par l’Église, voire sans âme… En réalité la place de la femme dans la société varie d’une époque à l’autre et selon la classe sociale considérée: c’est en ce sens que cette vision réductrice, bien qu’elle ne soit pas totalement fausse, ne doit pas être généralisée à outrance.

Déjà, au début du Moyen Âge, les reines jouent un rôle politique de premier plan, notamment dans la conversion au christianisme de leur mari. Les aristocrates fondent également des monastères, qu’elles dirigent en tant qu’abbesses. Beaucoup laisseront d’ailleurs des traités de théologie, de médecine ou de chants liturgiques. L’un des exemples les plus illustres étant sans nul doute l’abbesse allemande Hildegarde de Bingen, dont les écrits prolifiques incluent des traitements d'une variété de sujets scientifiques, dont la médecine, la botanique et l’histoire naturelle. On peut par exemple citer son œuvre Physica (également connue sous le titre De la nature), vaste description de plantes et d'animaux. Elle y décrit non-loin de 300 plantes, 61 sortes d'oiseaux et autres animaux volants (chauve-souris, insectes…), et 41 sortes de mammifères.


« […] L’émeraude pousse tôt le matin, au lever du soleil, lorsque ce dernier devient puissant et amorce sa trajectoire dans le ciel. À cette heure, l'herbe est particulièrement verte et fraîche sur la terre, car l'air est encore frais et le soleil déjà chaud. Alors, les plantes aspirent si fortement la fraîcheur en elles comme un agneau le lait, en sorte que la chaleur du jour suffit à peine pour réchauffer et nourrir cette fraîcheur, pour qu'elle soit fécondatrice et puisse porter des fruits. C'est pourquoi l'émeraude est un remède efficace contre toutes les infirmités et maladies humaines, car elle est née du soleil et que sa matière jaillit de la fraîcheur de l’air […] » (Extrait de De la nature de Hildegarde de Bingen).

Elle attribue ainsi des vertus protectrices, curatives et purificatrices aux minéraux suivant en cela des pratiques communes à la société antique, fondées alors sur un symbolisme à la fois magique et religieux.


Plus que leur condition de femmes, c’est aussi le maintien du pouvoir de leur groupe familial que les femmes défendent, au même titre que les hommes. Puis, remis en cause par les hommes d’Église, leur statut se détériore à partir des XII°s et XIII°s siècles pour atteindre ses pires moments avec les fameux épisodes de « chasse aux sorcières ».

Aussi, certaines femmes filent certes la laine chez elles, mais souvent pour le compte d’un atelier de tissage. Elles travaillent aux champs et dans les ateliers urbains, qu’il leur arrive d’ailleurs de diriger, surtout après la mort de leur mari, ces derniers ayant une espérance de vie bien moindre que leur compagne.

L’INRAP précise d’ailleurs là encore:
« si l’archéologie relève parfois le faste des tombes de reines (comme celle d’Arégonde à la basilique de Saint-Denis), qu’en est-il des femmes en général ? L’étude des nécropoles a révélé qu’hommes et femmes sont enterrés selon les mêmes pratiques funéraires ; leurs tombes ne se différencient pas. Identique selon les sexes, la richesse des dépôts dépend du niveau social du défunt ; seules les catégories d’objets diffèrent : armes pour les hommes et bijoux pour les femmes, parfois aussi des clés, symbole de propriété de la maison. Grâce aux progrès de l’anthropologie, on découvre depuis peu, des femmes inhumées avec des panoplies d’armes : des attributs et un rôle dans la société jusque-là considérés comme exclusivement masculins ».


4- Que serait le monde médiéval sans son lot de nobles et de châteaux forts ? Et pourtant…






La confusion provient ici davantage d’un petit couac de vocabulaire: les seigneurs du Moyen Âge vivaient effectivement dans des châteaux, mais tous les châteaux n’étaient pas des châteaux-forts. C’est-à-dire, si l’on se fie à la définition la plus commune du terme: « une bâtisse pourvue de fortifications ».


Avant l’an mille, les résidences seigneuriales pouvaient être de véritables palais, où le seigneur invitait d'autres seigneurs, donnait des banquets ou organisait des chasses. Le château se devait ainsi, avant tout, de montrer au monde la richesse et la puissance de son propriétaire. Le seigneur y recevait ses sujets et y gérait ses affaires.


Ce n’est qu’à partir du X° et du XI° siècle, avec la montée des rivalités et des querelles entre seigneurs voisins, qu’apparaissent les résidences fortifiées. Mais même alors, la guerre n’étant globalement jamais permanente, ces châteaux-forts n’étaient pas limités à leur fonction militaire. Ils demeuraient le centre administratif autour duquel s’organisait la vie de la population locale : tous les actes de propriété, les dons et autres, y étaient établis et conservés ; on venait y régler ses impôts ou le fermage que les paysans payaient pour les terres qu’ils exploitaient à leur seigneur.

En temps de paix, la garnison de ces lieux était limitée à quelques « gens d’arme » chargés de faire régner l’ordre. En période de troubles, elle s’augmentait de seigneurs dépendants du château et de paysans. D’ailleurs, face à la progressive professionnalisation de l’activité militaire, seuls les très riches seigneurs avaient les moyens de recruter des professionnels de la guerre et de leur verser une solde (c’est de là d’ailleurs qui vient leur nom de « soldats »: des personnes payées pour exercer leur fonction propre qui est celle de faire la guerre).


L’INRAP précise là encore: « Il est difficile d'estimer combien de personnes habitaient dans un château, fortifié ou non, du Moyen Âge. Cela dépendait de l’importance du seigneur, lequel, d’ailleurs, n’y était pas toujours présent : il pouvait posséder plusieurs seigneuries et donc passer de l’un à l’autre de ses châteaux, ou bien résider par moment à la cour d’un prince ou d’un roi pour y assurer une charge ou un ministère, ou enfin posséder une maison en ville et l’occuper de temps en temps. En son absence, un capitaine s’occupait du château et du domaine. C’est lui qui y résidait le plus souvent, avec sa famille et ses gens ».


5- Le peuple, des arriérés vivant dans des maisons de torchis et de paille ?





David Bento , Valérie Pasteau - Production : Universcience



Longtemps le Moyen Âge a été présenté comme une société à deux vitesses avec, d’un côté, les aristocrates vivant dans leurs châteaux et les religieux établis dans des monastères et officiant dans de magnifiques églises. Et de l’autre, la grande majorité de la population, besogneuse et misérable, habitant dans de modestes constructions en bois au sein de campagnes dévastées par les invasions. À tel point que les historiens parlaient parfois de cette période que de celle de l'« âge du Bois ». C’est notamment le cas de Pierre-François Mille (archéologue en poste à l’Institut National d’Archéologie Préventive Rhône-Alpes-Auvergne) qui le suggère au sein son article dans l’acte du Ve Congrès international d'Archéologie Médiévale de Grenoble des 6-9 octobre 1993: « L'usage du bois vert au Moyen Age : de la contrainte technique à l'exploitation organisée des forêts ».


Depuis les années 1990, la multiplication des fouilles d’habitats ruraux du premier Moyen Âge a totalement renouvelé les connaissances, révélant l'existence de bâtiments à vocations multiples, de fermes, de hameaux, de bourgs.


À ce propos, rien ne serait plus judicieux que de reprendre les termes de l’INRAP:

« Si les constructions sont effectivement le plus souvent en bois et torchis sur une ossature de poteaux plantés, il ne s'agit pas de cabanes mais de véritables maisons, parfois munies d'un étage, et toutes les ressources des terroirs environnants sont mises à profit.

L’utilisation de la pierre est privilégiée dans certaines régions, et des techniques de construction diverses sont mises en œuvre. La ferme de Pratz dans le Jura, vaste bâtiment en pierre de plus de 230 m2 au sol, tranche singulièrement avec les surfaces de nos pavillons actuels ! Même si la pierre constitue une indéniable source de qualité de vie, les architectures en bois sont également confortables et parfois très élaborées, tel le monastère des Pères du Jura, près de Saint-Claude, dont la description indique des étages et une multitude de pièces.

Dans le domaine religieux, la découverte de plus en plus fréquente d’édifices de culte en bois est l’un des apports récents de l’archéologie. Les églises étaient beaucoup plus nombreuses qu’on ne le soupçonnait en l'an mille.

Cette diversité des manières de construire témoigne d’un extraordinaire dynamisme et de spécificités régionales qui rompent avec la normalisation du bâti qu'a connu l’époque romaine. »




08.02.2022 - "Et pourquoi pas ?" - Damien CHASSIGNEUX





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