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Et pourquoi pas s'étonner ?

Dernière mise à jour : 9 juin 2022

- L'étonnement en philosophie à l'épreuve de la vie -



Crédit photo: Srbonne Université



  • Et pourquoi pas s’étonner ? L’ apologie de l’étonnement, le pourquoi en philosophie à l’épreuve de la vie:



« Je suis allé dans les bois parce que je voulais vivre délibérément, n'affronter que les faits essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à m'enseigner, et ne pas découvrir, au moment de mourir, que je n'avais pas vécu. Je ne voulais pas vivre ce qui n'était pas la vie, la vie est si chère ; je ne voulais pas non plus pratiquer la résignation, à moins que ce ne soit tout à fait nécessaire. Je voulais vivre profondément » […].


-Henry David Thoreau

« Vivre profondément ». Ne plus vivre en surface, de manière fulgurante. Moyen d’agir. Existence « vivante ». Véritable réponse au « pourquoi », commencement mais aussi commandement de la réflexion philosophique, la réponse de Thoreau envisage la possibilité pour l’être, mort au temps universel qui l’entraîne dans une chute irrémédiable, de commencer à prolonger son existence, en faisant de sa capacité à s’interroger l’essence-même du sentiment de durabilité. Convoquée par les Grecs dès l’Antiquité, prise de recul par rapport au monde qui nous entoure, la notion d’étonnement désigne l’opération de ré-interrogation du monde, de mise en question de l’environnement. Plus que d’envelopper l’être d’un cocon protecteur, d’en faire le réceptacle d’une matérialité, l’homme devient alors l’incarnation, le siège d’une existence pleinement vécue. Ainsi, l’homme, frappé par la foudre comme le suggère l’étymologie latine attonare, ne hiérarchise plus son plaisir par contraste, ne voit plus le bonheur comme un résultat fini, un contenu, mais apprend à apprécier chaque chose de la vie dans son intensité et dans sa durabilité. Grâce à cette illumination soudaine, on envisage ainsi la possibilité d’une existence « vivante », et non plus seulement la vie comme survie face au passage du temps. Selon John Dewey, « où il y a étonnement, il y a désir d’expérience ». De l’étonnement, du thaumazein grec, résulte une forme de connaissance, motivée par un certain désir de lien entre le sujet et l’objet de l’interrogation. C’est ainsi que l’homme bouleverse le cours de son existence, en modifie le déroulement et rompt avec l’immobilisme, devenant ainsi acteur sur la scène de théâtre que représente sa vie. L’étonnement philosophique, et pourquoi pas ?



I/ Au commencement est l’étonnement, le « pourquoi » : l’homme ou le début d’une « esthétisation » de son existence:


Si la vie peut être perçue comme un « long fleuve tranquille », elle reste tout de même un fleuve, qui échappe à la prise en main, qui coule, file entre les doigts, à l’image du temps que nous ne pouvons rattraper. Ainsi s’en fait de la vie de l’homme, qui pense ne plus pouvoir suspendre le temps et immortaliser ses souvenirs dans une galerie de tableaux, mais qui se contente de le tuer, en le percevant comme un obstacle à abattre. Est-il possible alors de penser, d’envisager une durabilité de l’existence humaine ? L’étonnement, en ce sens, se ferait allié du temps, en poussant le sentiment de durabilité à son paroxysme. En nous procurant plaisir et émerveillement, il rend notre vie sensiblement poétique, et fait de nous des êtres de « faire », et non plus seulement d’« avoir ». Ainsi, nous faisons de notre vie, au sens nietzschéen du terme, « une œuvre d’art », en suspendant le temps pour qu’il ne nous prenne pas ce que nous avons fait de plus beau. La vie, chose profonde, est ainsi appréhendée par son détenteur, qui, grâce à l’étonnement, crée individuellement, n’étant plus soumis et passif à une existence donnée. Cet état « poétique » est le résultat du « pourquoi » philosophique, grâce auquel nous prenons goût à la vie, nous faisons l’expérience de notre vie. L’étonnement serait-il donc une « esthétisation » de l’existence, une opération grâce à laquelle nous « ferions », « peindrions » notre vie au lieu de la subir, ou bien un refus simple de l’évidence ? Si l’étonnement apparaît comme possibilité d’agissement pour l’homme dans son monde, il peut aussi s’apparenter à une envie irrépressible de remettre en question tout ce qui l’entoure, faisant de sa vie une source permanente d’interrogations, qui impliqueraient la recherche de réponses. La vie ne serait en ce sens plus un long fleuve « tranquille », mais une opération de perpétuelle remise en question, un refus de l’immédiateté qui conduirait l’homme au refus de l'acceptation immédiate des choses, à ne recevoir jamais, au sens cartésien du terme, « aucune chose pour vraie que je ne connusse évidemment être telle ». Mais si l’évidence est évidence pour tout esprit qui se veut rationnel, il faut alors être fou pour la refuser, puisqu’elle semble pouvoir être comprise et acceptée par tout être de raison. Mais le paradoxe est qu’en s’interrogeant, en s’étonnant, l’homme agit et fait de sa vie un chose mouvante, une chose sensible aux évolutions de la vie et de son esprit, une chose à son image : l’existence, individuelle, devient elle aussi le siège de l’unicité, contant ainsi la traversée singulière de l’homme. S’étonner, c’est faire de sa vie une « œuvre d’art », dans le sens où chaque interrogation est l’illustration et l’expression d’une unicité. En ce sens, le doute cartésien est non seulement un moyen d’affirmer que l’homme, en doutant, pense, mais cette méthode du doute est aussi l’outil, le moyen artistique élaboré par Descartes pour montrer comment s’étonner. Ainsi, l’étonnement est moyen et fin en même temps, mais surtout, plus que d’être le moteur de l’interrogation, mère de la philosophie, il prouve que l’homme n’est pas un corps, quelque chose de palpable, mais un « être ».



II/ L’étonnement à l’épreuve de notre vie : la philosophie, amour de notre sagesse, de notre conscience et de notre étonnement.


En ce sens, l’étonnement serait un « amour de l’être », un moyen d’aimer sa conscience, sa manière singulière de penser, et nous conduirait à nous rapprocher au plus près de nous-mêmes, à nous ramener aux confins de l’humanité, là où notre vie a commencé, et nous montre aussi les raisons pour lesquelles elle se poursuit. La philosophie nous apprend à aimer la sagesse, mais elle nous apprend aussi à aimer cette capacité à nous interroger : nous aimons savoir jusqu’où l’interrogation peut aller, jusqu’où nous devrons aller pour trouver une réponse. Ainsi, le langage, qui est le moyen de créer un pont entre la réalité et notre perception singulière de celui-ci, est le moyen par lequel l’homme imprime et fige ses impressions, et l’étonnement philosophique, le moyen d’aimer chaque mot pour ce qu’il est, en éloignant les synonymes, d’aimer chaque mot pour ce qu’il interroge dans notre monde. A l’image d’une rencontre amoureuse, l’étonnement nous ramène aux émotions premières, toutes neuves, à une pureté personnelle, et l’émotion, résultat de cette opération, traverse notre chair comme un éclair, en prenant soin de nous laisser l’intensité de cette expérience et la durabilité d’une pensée. Notre vie devient une expérience éprouvante, un refuge, véhicule de l’émotion. Nous transformons le figé en intensité, en mouvement. Si l’étonnement n’est pas nécessairement le but d’une vie, il est une condition sine qua non, apparaît comme une « urgence ». Nous clamons notre amour de penser au moyen de l’étonnement, notre amour de la vie dans son évolution, dans sa complexité. Grâce à lui, nous chantons l'amour de notre être et de notre pensée. Ainsi, l’étonnement nous fait saisir chaque seconde de notre vie, chaque fragment de notre existence pour la rendre « vivante ». L’étonnement, doublure du grand rêve de Faust de pouvoir posséder la connaissance universelle et de percer les clés de l’univers, est l’« être » de toute existence : nous sommes un étonnement, nous sommes un éclat de vie qui fait ses preuves à l’échelle du temps, de l’histoire. Le terme « vie » , qui désigne la vie dans ce qu’elle a de singulier et d’évolutif, est l’accomplissement du thaumazein. L’étonnement, plus que l’expression et le désir d’une singularité, est le commencement et le commandement de la vie. ( cf. l’étymologie grecque archè, qui signifie le commandement, mais aussi le commencement).


III/ Quand l’étonnement devient un « art de vivre » : vouloir être et vivre la philosophie:



A la manière de Thoreau, l’étonnement conduit au voyage, au décentrement, et confine au bonheur d’éprouver la sensation. Si sans l’étonnement l’homme peut avoir une impression d’immobilisme, l’étonnement est le mouvement perpétuel qui lui fait désirer la vie. C’est un moyen de retourner au plus près de la vie et de ce qu’elle a d’authentique. Découverte d’un secret, moyen d’être en symbiose avec le monde, l’étonnement est l'union de la réalité que chérit l’homme singulier et de sa façon de la concevoir. L'étonnement peut être la source de plaisir de toute une vie, ce qui touche l’homme par la beauté qu’il a, un réinvestissement de la notion d’« universalité sans concept » kantienne, ce par quoi l’évolution est permise : c’est un « vouloir être », un « vouloir vivre », à l’image de la trajectoire de la vie, que nous modelons à notre guise, un moyen de vivre en utopie sans être dépaysé. L’étonnement, s’il engendre un contact entre la réalité perçue, la réalité vécue et l’être qui la vit, engendre la vie : il engendre une idée, qui existe ainsi devant toute éternité. Vouloir l’étonnement, faire l’expérience de celui-ci, c’est éprouver la vie, c’est la vivre « profondément ».



Si l’étonnement philosophique permet la généralisation et la construction de concepts, permet l’analogie entre l’homme et le monde par le biais du langage, c’est aussi un moyen pour celui-ci d’éprouver sa vie en tant que réalité sensible. Si s’étonner de tout s’apparente à un refus de l’immédiateté, de l’apparente réalité, c’est aussi le moyen par lequel l’homme apprend à aimer sa conscience, les interrogations qu’elle lui soumet, un moyen d’aimer sa singularité, sa manière de penser, d’être, d’interagir avec la monde. S’étonner, c’est faire vœu d’intensité. La vie, en tant qu’évolution, en tant qu’expérience, est donc le résultat d’un étonnement vécu, duquel résulte un certain bonheur philosophique, objet par excellence de la recherche. Ainsi, l’étonnement est un moyen de regagner le temps perdu, de partir en quête de sa vie dans ce qu’elle aura de « vécu ».


08.02.2022 - "Et pourquoi pas ?" - Nox Temporum

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