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Et pourquoi pas partir à l'aventure... sans sortir des murs ?

Dernière mise à jour : 9 juin 2022


17 heures ont sonné aux cloches de la ville…


Je monte à grandes enjambées les marches qui me conduisent en haut.(1) Là où je vais retrouver celui qui en ces lieux sera mon guide… Il est encore professeur pour un temps : le temps que le soleil s’évanouisse derrière l’horizon bas des immeubles qui encerclent le lycée…

Tandis que les élèves filent par la porte de la salle d’examen, satisfaits ou atterrés, je contemple le bout de ciel et de lycée que veut bien accueillir le cadre de la fenêtre, et qu’éclaire encore vivement le jour. Enfin, le voilà : monsieur Pernette, un lourd paquet de copies sous le bras et son bonnet vissé sur la tête.


Je t’en prie, viens, Toi, lecteur de ces lignes, emboîte avec moi le pas à l’enjoué professeur…


Première escale


Nous pénétrons ensemble dans le laboratoire de physique chimie… (2)Et là, ô divine surprise, les chers collègues de mon guide lui ont laissé la dernière part de la traditionnelle galette. Je continue de suivre maître Pernette, qui semble goûter avec plaisir la délicate attention de ses pairs, et nous parvenons bientôt dans une grande salle où trônent majestueusement de grandes vitrines dont l’âge rivalise avec celui des lieux.


ATTENTION, avis subjectif :


J’avoue me demander qui a eu l’idée d’y installer des instruments aussi récents que laids, alliance peut-être aussi agressive que lors du temps où nombre de préfabriqués avaient poussé comme la vermine dans notre beau lycée en rénovation…

(époque de mes jeunes années collégiennes…)


Croquer la vie à pleines dents…


Monsieur Pernette, soudain, laisse échapper un petit cri exprimant une légère et heureuse surprise : il vient de découvrir sous ses dents une fève enfouie dans la frangipane… C'est donc avec un monarque que je sors du laboratoire : nous débouchons ensemble sur la galerie surplombant le petit quartier.(3) Nous admirons ensemble l’édifice flambant neuf, dont il me conte l’histoire comme il l'eût fait de son royaume.


Au commencement


Il m’explique que dans la fièvre démocratique et hygiéniste de la IIIème république, il fut

décidé de bâtir un nouveau lycée… Dans le lycée impérial installé en 1803 - aujoud’hui collège Marcel Pardé - les élèves commençaient en effet à se trouver un peu à l’étroit. La construction de l’établissement fut donc décidée sur un terrain disponible aux limites de la ville… Sauf qu'un immeuble de rapport - construit par un particulier afin d’en louer ensuite les appartements - occupait une partie de l’espace… Qu’à cela ne tienne, on l’intégra aux plans de la future bâtisse… Vous pourrez ainsi remarquer les différences architecturales entre cet ancien immeuble, qui accueille l’entrée principale boulevard Thiers, et le reste du Lycée.


Au diable le lycée !



Après ces considérations érudites sur l’origine du lycée, nous sommes descendus dans la cour d’honneur (4) et nous voilà divertis par l’une des scènes burlesques qui animent le lycée à la tombée de la nuit : monsieur Evrard, fidèle cerbère de Carnot, promène ses deux petits chiens, des bouledogues sans doute. Mais revenons-en à nos moutons…


Monstruosités architecturales



En parlant de Bêtes, j’apprends désormais de monsieur Pernette qu’on pourrait comparer notre lycée à une sorte de monstre métallique. En effet, suprême modernité pour l’époque, notre établissement cache en ses entrailles un squelette de ferraille. Il en existe quelques indices, comme les galeries qui abritent nos pas tranquilles ou pressés d’un cours à l’autre, ou encore les passerelles qui permettent l’accès à l’ancienne chapelle. L’observateur attentif pourra déceler d’autres signes de cette structure interne : les fleurs de lys stylisées qui jalonnent les façades sont en fait les extrémités des poutres métalliques qui soutiennent les bâtiments.


Entre celles-ci, des poutrelles perpendiculaires viennent parachever l’ossature, et les espaces sont comblés par des sortes de petites voûtes de briques.

Mon guide, qui, depuis trente ans, enseigne en ces lieux, me raconte qu’au début de sa carrière, les plafonds n’avaient encore été abaissés, la voûte d’acier lui renvoyait l’écho de son cours.


Gravé dans le marbre


Nous continuons notre marche cordiale et nous nous rendons derrière les cuisines (5) où notre regard peut saisir, gravé sur la pierre, le nom de l'architecte béni qui conçut le lycée « le plus beau et le plus vaste de France », comme l’indique un prospectus de 1911. Ce nom, c’est celui d’Arthur Chaudouet, qui remporta le concours organisé alors par la municipalité en 1893.


Hygiénisme douteux



Nous accédons ensuite à la cour des vélos, où, ami lecteur, tu as peut-être remarqué l’inscription suivante au-dessus de l’une des portes : « BAIN DE PIEDS ». (6)


Mon guide, amusé, m’explique en effet qu’entre les deux bains annuels obligatoires, les internes devaient au moins laver chaque jour le contenu de leurs chaussures… Il en profite pour évoquer certains aspects de la vie interne de cette époque : les dortoirs n’étaient pas subdivisés en chambrettes comme aujourd’hui mais les lits de chaque élève étaient logés dans des sortes de boxes, séparés de ceux des autres par d’étroites cloisons… Au bout : la chambre du pion attentif, percée d’une lucarne, par laquelle il pouvait jeter ses regards soupçonneux dans le domaine des garçons parfois indisciplinés.


Les casques à pointe paieront


Justement, pour cadrer ces adolescents, et pour les préparer à l’éventualité d’une guerre avec l’ennemi juré d’outre-Rhin, des exercices militaires étaient régulièrement organisés dans la cour dite « du siècle », où nous nous trouvons maintenant. (7) A l’origine, il était même prévu d’installer un manège d’équitation sous la chapelle, afin de parfaire l’éducation guerrière des futurs défenseurs de la nation, projet abandonné…


Une peu de poésie :




Le soir en ces lieux magiques

A désormais couvert d’ombre

Tout ce qui s’offre à nos yeux.

L’astre de la nuit a vaincu Hélios

Ou Râ…

Et s’élève fièrement dans le ciel marine.

Alors, s’éveillent les lampadaires d’un autre siècle

Et le Lycée nous convie

À ses mystères nocturnes



De l’obscurité à l’obscurantisme…


On concéda une salle des cultes - qui devint vite une chapelle catholique, faute d’autres choses - à ceux qui croyaient au ciel, mais on ne put laisser échapper un clin d'œil anticlérical, le mouvement étant alors en vogue. Ainsi, il fut décidé que la rue longeant le lycée, dans laquelle se trouvait un établissement catholique, serait appelée du nom de Diderot, qui évolua dans ses oeuvres, de la foi à l’antireligion ; afin de placer comme un cordon sanitaire entre les sombres corbeaux et les fiers hussards.

Il n’y pas si longtemps d’ailleurs que la Chapelle n’est plus utilisée puisque monsieur Pernette me confie s’y être rendu enfant, pour assister à la première communion d’une connaissance. Il s’agissait peut-être de ma professeure d’histoire de cinquième, qui nous conta un jour y avoir elle-même reçu le sacrement eucharistique… Dieu seul sait.

Le corbeau, honteux et confus

Jura, mais un peu tard, que l’on ne l’y prendrait plus

Maître Pernette, en sa jovialité, me conta ce qui n’est peut être qu’une fable :

Le lycée n’accueillait évidemment que des garçons - jusqu’à la frénésie soixante - huitarde - et les filles occupaient quant à elles l’actuel collège Marcel Pardé, laissé libre par leurs confrères. Cependant, il se trouve que les deux établissements avaient le même aumônier. Les adolescents, dans leur espièglerie, auraient régulièrement caché de petits messages dans le vaste chapeau de l’écclésiastique -véritable pigeon… voyageur - afin de s’échanger de douces paroles…


Clémenceau ne croyait pas si bien dire lorsqu’il déclara le 3 décembre 1887 :

« Votons pour Carnot, c’est le plus bête, mais il a un nom républicain »



Nous sommes désormais dans le grand quartier (8) - vestige d’un vocabulaire militaire…- et mon guide me montre des reproductions de la frise des Panathénées, installées tout le long de la galerie des salles de biologie. Ces moulages furent offerts en cadeau par le ministre de l’instruction publique, qui voulut ainsi se faire pardonner son absence, peut être que lui aussi profitait alors de ses vacances… À sa place : le ministre de la justice, qui inaugura l’édifice le 31 juillet 1893… À cette date, pas encore de nom pour ce nouveau « Lycée de Dijon ».


Mais, le président de la république Sadi Carnot eut, quelques mois plus tard, l’heur de se faire poignarder par l’anarchiste italien Sante Geronimo caserio ; ce fut à Lyon, le 24 juin 1894. La solution fut donc donnée par ce sinistre événement : le lycée s'appellera Carnot, du nom du discret président Sadi, de son père Hippolyte, député républicain et ministre de l’instruction publique ; de son oncle nommé Sadi comme lui, inventeur de la thermodynamique ; et, enfin, au nom du « grand Carnot », Lazare de son prénom, « l’organisateur de la victoire » sous la révolution française. C’est donc cette grande famille républicaine et bourguignonne - ils sont originaires de Nolay, près de Beaune - qui est honorée par la dénomination de ce beau Lycée.


La grenouille dijonnaise n’a rien à envier au boeuf parisien


En passant, il est intéressant de remarquer que le lycée parisien Janson de Sailly (inauguré en 1881) présente quelques similitudes avec le nôtre, notamment ses galeries métalliques et même l’organisation générale des bâtiments et des cours. Cependant je vous rassure, ce parigot a beau être quelques échelons plus haut dans le classement des prépas de France, il n’en demeure pas moins une pâle copie - bien qu’antérieure - de notre Lycée Carnot !


Lieux divers…


Après une courte visite du laboratoire de chimie (9), dont le plafond s’élève à quelques dix mètres de hauteur, habile précaution en cas d’échappement de gaz toxiques, nous repartons à l’autre bout du Lycée pour visiter l’ancienne école primaire, au delà de la cour du collège, qui abrite désormais les salles technologiques. (10)


Voyage (presque) au centre de la Terre




Non loin de là, par une ouverture que je tiens à tenir secrète (11), nous pénétrons dans les tréfonds de l’établissement : les caves qui, par leurs longues galeries, épousent la forme extérieure du monstre…



Là, s’ouvre devant mes yeux ébahis un autre univers que jamais, non jamais en huit ans et demi de présence - et parfois de souffrances - passés entre les murs de Carnot, je n’aurais pu soupçonner… Là, ne sont plus les chaises et les tables rangées en rang dans les salles, comme le sont les collégiens devant l'œil autoritaire du professeur… Là, ne sont plus les appareils apportés par le tournant du XXIème siècle… Ici, non, il n’y pas cet ordre qui doit être maintenu à la surface… Ici, dans un merveilleux bazar, se côtoient joyeusement pots de peintures et cuvettes de chiottes, objets de toutes sortes amassés là, dans les salles que desservent ces belles galeries… ces dernières, d’ailleurs, m’évoqueraient presque les boyaux d’une mine, vestige d’un temps qui n’est plus… Ce temps, où le charbon accumulé dans le coin de la pièce où me mène monsieur Pernette servait à chauffer tout l’édifice… charbon acheminé sur de petits wagonnets, qui, sur les rails dont il reste un fragment que nous dégageons de la poussière, s’élançaient gaiement dans les couloirs de ces caves afin d’apporter à tous les recoins du Lycée un peu de chaleur réconfortante…




Ô nuit, qu’il est profond ton silence


Je ressors derrière celui qui m’a dévoilé une part toute intime de Carnot…je lui en suis bien reconnaissant…il fait décidément bien nuit, et la lune toujours, nous jette impérieusement au visage son insolente clarté…


Quand l’histoire et la science s’en mêlent


Nous dirigeons maintenant nos derniers pas vers le véritable royaume du professeur Pernette. il s’agit de la salle des K (12), dont peu sont encore capables d’expliquer la signification du nom… Me voilà apaisé de mon insatisfaction esthétique de tout à l’heure… Vous savez, quand nous étions encore dans le laboratoire de physique chimie. En effet, c’est cette fois une collection impressionnante d’anciens instruments qui ont vu naître le XXème siècle. Ces précieux objets, c’est bien mon guide du soir qui, en 2005, pour l’année mondiale de la physique, les a exhibés de leurs cachettes, des caves et des greniers du Lycée. Il les a patiemment nettoyés, répertoriés, en se plongeant pour ce faire dans de vieux manuels d’il y 150 ans, et ensuite il les a installés dans ces merveilleuses vitrines qui, maintenant se trouvent en harmonie parfaite avec les trésors qu’elles accueillent en leur sein… Il me montre certaines des pièces les plus intéressantes.

Ici, une sorte de grande ampoule productrice de rayons X et qui servit sans doute aux radiographies effectuées au Lycée devenu hôpital militaire pendant la grande guerre.


Là, un appareil qui, après que l’on a provoqué la rotation de la roue, produit encore, malgré son âge vénérable, d’impressionnantes étincelles.

Enfin, un bel objet de curiosité : une balance dont le pied fut construit en forme de tour Eiffel, en hommage à la célèbre construction de l’ingénieur dijonnais. Monsieur Pernette présente chaque année les trésors de ce petit musée à l’occasion des journées du patrimoine, pendant que son ami et ancien collègue René Petit, duquel il tient pour bonne part son amour et sa connaissance des lieux, fait découvrir Carnot au public. Autrefois professeur d’histoire de l’art et d’art plastique, monsieur Petit préside désormais l’association des anciens élèves.





Invitation au voyage dans les recoins merveilleux de l’histoire et de la poésie


Voilà, mes chers amis lecteurs… voilà, le modeste périple qu’un professeur enthousiaste me permit de vivre dans ce lycée, où chaque jour, nous nous rendons sans songer parfois, à l’histoire passionnante de ce temple du savoir. Alors, je ne peux que vous inviter à ouvrir grands vos yeux, votre sensibilité et peut être même votre âme à la beauté, au charme et, si vous le voulez bien, aux mystères que recèle votre établissement…


08.02.2022 - "Et pourquoi pas ?" - François BOUYÉ


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