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Il explore le monde en 3 lignes? Définissons le en 3 Mots : Un poème Japonais: Le Haïku

Dernière mise à jour : 9 juin 2022

Le haïku… Qu’est-ce donc que ce mot étrange ? Une expression pour désigner un torticolis ? Un pokémon légendaire dont l’air aurait disparu ? Rien de tout cela. Le haïku est une forme poétique japonaise, réputée comme la plus brève et la plus stricte au monde. Je vous propose alors de me suivre dans cette découverte de cette forme poétique si intimidante, afin de parler de poésie, et de la peur de l’écriture.



 

Époque d’Edo

Où se lève le soleil

Une Origine


Pour s’intéresser au haïku, commençons par un petit point historique. Le haïku est une forme poétique née vers le début de la Période Tokugawa (entre environ 1600-1868) et dont on attribue l’origine à Bashō Matsuo (1644-1694), qui fait dériver ce poème de seulement 3 lignes d'une forme ancienne plus étoffée : le haikai no renga. Le renga est une forme poétique pilier dans la culture japonaise, et un des plus grands genres littéraires, décliné lui-même en divers renga, comme le court (tan-renga) ou le long (chō-renga). Ce qui va différencier grandement ce style d’une poésie plus occidentale, c’est sa qualité de “poésie collaborative”. En effet, les renga se composent à plusieurs, et sont sujets à différentes règles d’écriture: le hokku, la première strophe, est réservé par exemple à un invité d’honneur, il doit servir de salutation à tous les convives qui participent au renga, en sachant qu’il est possible de faire un wakiokori, donc d’user du hokku d’un poète avant de continuer au wakai, la deuxième strophe. Celle-ci, composée par celui qui a rassemblé les membres du renga, doit être un honneur. Ce jeu de règles arrive donc à l’ère Edo (synonyme de la Période Tokugawa), la forme la plus populaire du renga en est alors le kasen, qui donne finalement naissance au haikai no renga, reprenant sa taille de 36 vers. Finalement, au bout du tunnel généalogique, le haikai no renga est la forme de laquelle Bashō tire le hokku (dont vous savez évidemment la place), afin de lui donner une unité propre : le haikai no hokku. Les haikai no renga sont des renga qui voient le jour avec l’assouplissement des shikimoku, les différentes règles créées dans les périodes précédentes, qui bannissaient les mots triviaux et autres scènes de vie prosaïque à l’instar du théâtre classique français, pour conserver une certaine pureté de la forme poétique. Ainsi l’apparition dans la littérature d’une certaine forme d’argot permet au haikai no renga d’incarner une poésie humoristique et même grivoise. Distingué ainsi du profond raffinement des autres formes poétiques japonaises, le haikai est donc “anobli” de nouveau par Bashō, qui redonne une forme noble au haikai no hokku seulement, et même une unité propre à cette première strophe.Elle obtient le nom de haïku, contraction de l’expression précédente, en 1891, par la plume d’un autre des 4 grands maîtres du haïku : Masaoka Shiki.


Au compte goutte
Couleur fleur d’un encre noir
Des mots régulés

Le haïku arrive donc après l’assouplissement des shikimoku, qui devenaient une entrave à l’expression poétique de par leur rigueur; pour autant il n’est pas dénué de règles précises, qui modèlent la poésie. La forme, tout d’abord, une strophe de 5-7-5 mores, (des unités phoniques qui sont la base de la langue japonaise) constitue l’essence du haïku et sa caractéristique principale. Directement héritée du hokku, cette manière de faire sa strophe, devient avec le temps propre au haïku, et permet de le rendre instantanément reconnaissable. Dans quel but établir cette règle ? Pour que le haïku soit un poème de l’instantané : il faut pouvoir le lire en un seul souffle et profiter ainsi de cette vision éphémère, de cette impression inattrapable que l’on a du monde. Ajoutez à cela la règle du kigo, autrement dit du mot de saison. Pour comprendre cette règle revenons au kasen, qui possède une règle similaire qui est l’origine de ce kigo. Le kasen, chaîne de 36 vers, doit se référer aux fleurs et à la lune, deux et trois fois respectivement. Dans le hana no za et le tsuki no za, le siège des fleurs et le siège de la lune, qui sont indispensables à tout kasen, le poète parle de la nature qui l’entoure. Ces places dédiées à la nature, ces sièges, deviennent dans le haïku bien plus court avec l’unique kigo, le mot de saison qui rappelle la nature telle qu’elle est au moment où le poète écrit. Il y a dans la poésie haïku 5 saisons : Printemps, Hiver, Été, Automne et Nouvel-An, considéré comme une saison à part entière. À noter que ces mots de saison peuvent n’être liés à aucune saison particulière, donc l’allusion à la nature est possible avec des mots comme “pleine-lune”. Finalement, le mot kigo reprend avant tout l’idée de cycle. Un haïku sans mot de saison est nommé “muki-haïku”, et sans être une forme moins noble, il perd un peu du cœur de cet art. De la même manière, les haïkus sous forme brisée, les hachō, existent eux aussi, mais à moins de jouer sur cette irrégularité, ils apparaissent moins intelligents, moins réussis.


Libérer son âme
Et contempler la lune
Sereine en son sein

La spécificité du haïku tient aussi de ses sujets, de ce dont le poème parle. Avec le kigo, on comprend très vite le sujet : la nature et sa contemplation. Alan Watts, philosophe américain, voit dans le haïku le poème de la perception toujours fuyante, toujours en mouvement. Lorsque nous lisons un haïku, il faut le faire à haute voix, en un souffle, et être pris par le mouvement du monde que ces 17 mores dépeignent. Comme l’eau qui coule, le temps passe dans le haïku et cette sensation vient du paradoxe inhérent entre la sophistication et la simplicité du poème. La haïku c’est plus que tout l’art de trouver le mot juste, de savoir quand s’arrêter, dans une perspective qu’on retrouve d’ailleurs en France avec l’OuLiPo, de s’élever par l’entrave de la forme. D’aucuns considéreraient que ces maigres 17 syllabes empêchent de s’exprimer pleinement, mais toute la magie du haïku vient de la suggestion, de l’impression qui mène à une interprétation. De fait, il faut lire les recueils de haïkus en sautant de pages en pages, puisque forcément les thèmes et impressions saisonnières peuvent parfois se ressembler, et il peut-être compliqué de distinguer l’impression propre de chaque poème, si on est déjà tombé sur un haïku parlant des fleurs de cerisiers par exemple. La place de l’auteur dans tout cela? Elle est inexistante. Enfin le haïku ne parle pas de l’homme, il doit s’effacer et laisser place à ses sens et à ce qu’il voit de la nature. Bien sûr, est abordée ici le haïku dans sa forme la plus traditionnelle, qui comme tout mouvement littéraire est soumise à des changements, des évolutions qui vont s’écarter des ces thèmes fondamentaux.


Par delà la mère

Quitter la langue natale

Rêve d’Occident


Comment, me direz-vous, traduire une telle forme poétique, à la structure si propre au langage japonais ? Après avoir répondu que c’est une très bonne question (pour ceux qui se la sont vraiment posée), j’ajouterai qu’en effet il est fort compliqué de traduire le haïku, dont la condensation provient de la grande flexibilité du langage japonais, bien plus conceptuel. D’abord, l’effet apporté est tout à fait différent dans la poésie japonaise, qui n’aspire pas aux rimes, ou autres jeux de sonorités bien connus de nos poètes français, mais surtout à l’efficacité de la formule. Les figures de styles, loin d’être proscrites, restent à utiliser avec parcimonie et précaution, toujours par la volonté de garder la lisibilité d’un poème réduit à l’essentiel. Ensuite, de l’utilisation des mores, il est impossible de retranscrire en français cet usage, car la langue japonaise est bien plus versatile, il est aisé de jongler avec les sons pour créer des mots. En français, comme annoncé succinctement, il faut s’en tenir à la grammaire, la présence de déterminants, et autre prépositions indispensables au maintien du sens de la phrase; qui plus est la transposition des mores aux syllabes apparaît inexacte, tout simplement car il peut y avoir plusieurs mores en une syllabes, et que 17 syllabes n’équivalent pas à 17 mores. Malgré tout, le haïku français existe bel et bien. Surnommé haïkou, il se base donc sur une métrique de 17, syllabes ou mots. Majoritairement contemporains, les haïkistes français ont selon Georges Friedenkraft une tendance à l’allitération, à la rime dissimulée dans le vers pour créer un rythme, comme dans ce haïku de Dimitri Rataud :


Tu es partie
La maison est si vide
sans le piano
Dimitri Rataud, L’amour comme un Haïku


Le ciel au dessus

Préparationnaire

Prends donc ta plume


Forts de ces connaissances, il ne vous reste qu'à vous y mettre! Comment allez-vous faire votre propre haïku? La première condition pour réussir est de se débarrasser de la peur de la poésie et de l’expression juste. Un des plus grands blocages, qui fait que les gens n’osent entrer dans la poésie en tant qu’écrivains, est qu’il y a une peur, compréhensible, de ne pas être à la hauteur de la tâche, de ne pas réussir à s’exprimer aussi bien que la poésie le “mériterait”, et cette peur ne fait que s’accentuer face à un haïku, dans lequel chaque mot s’inscrit au compte-goutte, dans lequel il n’y a déjà pas beaucoup de place, et où il faut éviter d’en laisser à l’erreur. Sortez, regardez le monde autour de vous, et laissez-vous prendre par lui. Une odeur, un son, une caresse de n’importe quel élément; dans un instant ultime de lucidité, dans une seconde seulement d’éveil, il faut se laisser aller à la sensation, et écrire ce que l’on ressent, avec le moins de mots possibles. Évidemment, cela ne se fait pas en claquant des doigts, et ce n’est pas pour rien qu’on révère au Japon les grands maîtres haijin (un haïkiste en japonais), qui excellent dans cette approche Zen de la nature. Mais n’oubliez pas que personne n’est Picasso en deux coups de pinceau, comme personne n’est Soseki Natsume en regardant une fois une nuit d’été: essayez, la littérature ne mord pas, bien au contraire vous trouverez cette expérience gratifiante. Pour vous aider à vous lancer, j’ai donc choisi une forme un peu amusante, mise en valeur une fois de plus par l’Ouvroir de Littérature Potentielle (OuLiPo) qui a décidément une forte tendance à jouer avec les mots, et à beaucoup s’en réjouir. Le haïku argentin, autrement appelé haïkrostiche, est un haïku composé de vers de 5-7-5 mots, au milieu duquel on cache un mot de 3 syllabes. Ce mot comme ses synonymes doivent être bannis de votre haïku, qui pourtant doit décrire votre mot choisi. Parler d’une chose sans la nommer, l’art de la suggestion si propre au haïku, n’est-ce pas une façon ô combien délicieuse de se lancer dans cette manipulation de l’écriture? Dernière règle : des 3 vers de votre haïku, deux ne doivent pas comporter la syllabe du mot choisi à leurs extrémités, elle doit être en dedans du vers. Finissez par écrire vos vers de telle sorte que votre mot soit mis en évidence, et le tour est joué! Après avoir lu ces quelques haïkrostiches de la rédaction, n'hésitez pas à utiliser l’espace à votre disposition pour créer le votre, et surtout nous le partager!



Beaucoup de mots pour faire mention de si peu, d’un souffle de 17 mores, qui je l’espère caresse votre esprit comme une légère brise estivale…


Yann Ours - 15 décembre 2021




Après ces quelques exemples, n’hésitez pas à essayer:


Cimetière astral clôture du monde

Combien de tombes fleurissent en ton infini

Trahison révélée un lendemain ensoleillé



Macabre cercueil de cloisons molletonnées

Vaincs celui qui naguère aspira aux prouesses

Happé par Morphée, il sombre


La panse d’un monstre bicéphale

Deux gouffres tentaculaires où perdues les jambes

Dévalent longues cascades de tissu


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