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L’introduction du pronom neutre dans le dictionnaire: polémique justifiée ou une mauvaise priorité ?

Dernière mise à jour : 9 juin 2022



 


En novembre dernier, l’introduction d’un pronom neutre, nongenré, dans le dictionnaire le Robert a suscité de vives réactions de la part des particuliers et des politiques français. Les différentes revendications ont tendance à converger vers une crainte de la « trituration de la langue » et d’une détérioration du patrimoine français, tandis que les oppositions espèrent mettre en lumière l’écriture inclusive et intégrer les idées du « wokisme » dans la société française. Ce mouvement américain fait référence au terme « woke » qui signifie « éveillé » et cherche tout simplement à éveiller les consciences sur les problèmes de justice sociale et de racisme.


Depuis les années 2010, le pronom « iel » entre progressivement dans les usages du langage, notamment chez les populations LGBTQ+ qui semblent être à l’origine de ce néologisme. La définition du Robert nous dit « (rare) Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre. L'usage du pronom iel dans la communication inclusive ». Il est impératif de préciser que le dictionnaire n’est pas un objet d’initiative ou de création. En effet, il ne fait que définir les mots récemment entrés dans les usages, autrement dit, le Petit Robert n’est en rien l’inventeur du pronom « iel ».

Toutefois, l’argumentation des soutiens accordés à l’utilisation, ou la simple acceptation de l’existence de ce mot dans la langue française ou sa pratique, est construite autour de deux thèmes principaux : le féminisme, et l’abolition de la dominance du genre masculin sur le genre féminin dans la grammaire française, mais aussi la prise de conscience de l’existence d’un « non-genre », ou d’un genre « non-binaire » comme légitime et nécessitant la création d’un nouveau pronom adapté. On peut d’ailleurs noter que cette polémique suit de près la création du premier passeport au genre « X » aux Etats Unis, et pourrait alors s’inscrire dans ce même mouvement plus que dans la lutte pour la cause féministe. Quant à l’argumentation de l’opposition, qui refuse l’utilisation de ce pronom et nie même son existence, elle revendique davantage des idées conservatrices du patrimoine et de l’identité française que des convictions politiques et idéologiques qui pourraient pallier aux désirs de reconnaissance des communautés non-binaires et féministes.





C’est autour de ce paradoxe, largement alimenté par le ministre de l’éducation Jean Michel Blanquer, que peut se construire un questionnement sur la bonne foi des contestations, voire l’hypocrisie des figures politiques qui nient jusqu’à leurs convictions idéologiques à l’encontre des causes revendiquées par la seule utilisation d’un pronom.

À la publication de cette définition du Petit Robert, les politiques ont immédiatement réagi par l’écriture de tweets. François Jolivet, député, déclare : Le Petit Robert, dictionnaire que l'on pensait être une référence, vient d'intégrer sur son site les mots « iel, ielle, iels, ielles ». Ses auteurs sont donc les militants d'une cause qui n’a rien de Français : le #wokisme. J'ai écrit à l'Académie française. #LePetitRobert ». En effet, dans son courrier à l’Académie Française, immédiatement soutenu par le Ministre de l’éducation, le député décrit l’idéologie « woke » comme « destructrice des valeurs qui sont les nôtres ». Il ajoute : « Ce genre d’initiative aboutit à une langue souillée, qui désunit ses usagers plutôt que de les rassembler. » Ici, François Jolivet rejette avant tout l’idéologie américaine du « wokisme » et ainsi ferme ouvertement les yeux sur toute injustice sociale liée à la discrimination, au sexisme et au racisme. Cela n’empêche pourtant pas Jean Michel Blanquer de justifier ces propos par la simple contestation d’une modification de la langue au profit de la tradition et de l’identité française, sans étendre le débat à quelconque idéologie qui dépasserait le cadre de la question de la langue. Luc Ferry (…), à la suite de ce bouillonnement médiatique, invité par une journaliste de la chaîne LCI, semble avoir quelque peu nuancé les propos à l’encontre de cette mesure. Il explique plus en détails la volonté de protection du patrimoine : en effet, selon lui, les œuvres considérées comme classiques telles que celles de Balzac, de Flaubert ou de n’importe quel autre auteur français qui n’utilise pas l’écriture inclusive, paraîtront « machistes » aux yeux des générations futures pour lesquelles l’écriture inclusive serait acquise. Cet argument pose alors la question de l’éducation, et de la façon d’enseigner la langue française aux enfants, puisque c’est aussi l’objet de contestations de la part de certain.e.s professeur.e.s des écoles, qui considèrent la grammaire comme « suffisamment difficile ».


Toute cette argumentation construite autour de la question de la langue, moins qu’autour des valeurs de l’idéologie « woke », dont le débat est en fait stoppé par le discours du Ministre de l’Education qui le réoriente, interroge la valeur de ce débat et surtout son utilité dans ce processus « d’éveil » voulu par les communautés qui utilisent ce pronom. Cette intrusion au sein d’une langue très chère aux représentant.e.s des idées les plus conservatrices – probablement les principales cibles de ces revendications étant les moins ouverts à l’évolution – pourrait alors créer plus d’animosité et de division entre les deux « partis » que de communication constructive, totalement abrogée par les figures politiques opposantes. Cette rupture et cette faille progressivement élargie entre les « conservateurs » et les partisans du « wokisme » ne constituent-elles pas un frein au progrès des idées féministes, et d’acceptation des personnes qui se considèrent « non-binaires », peut-être prioritaires dans une société où le sexisme, l’homophobie et la transphobie sont massivement banalisés et profondément inscrits dans les mentalités ? Ce débat devenu largement stérile et hypocrite ne semble pas provoquer les effets attendus, mais plutôt conforter les idées conservatrices dans le déni et l’animosité.


On peut toutefois considérer que l’ajout d’une définition sur le terme « iel » constitue une démarche positive à l’égard d’une population qui a tendance à divaguer et à décrédibiliser des causes pourtant primordiales. L’impertinence d’un débat autour de la langue française, lorsque la situation des femmes et des communautés LGBTQ+ est aussi difficiles, est très symptomatique du manque d’efficacité, dans la présentation des revendications sociales, d’une partie de ces communautés, pourtant considérées comme « extrêmes » par la majorité de la population française. Ce décalage entre le bien-fondé d’un discours idéologique, et la maladresse, parfois presque la bêtise, d’une pratique de cette même idéologie, ridiculise une cause pourtant si noble, derrière laquelle se cachent des individus qui souffrent et demandent à être vus.


En somme, la critique originelle qui vise le Petit Robert et l’Académie Française est ce qu’il y a de plus infondée. Elle est en réalité tout aussi infondée que la priorisation des enjeux liés à la langue au détriment d’une réelle prise en compte de la vie des individus concernés. La réaction de ces élus, qui sont même les représentants des personnes dont ils nient l’existence, est très représentative de cette “nouvelle France” qui voudrait voir Eric Zemmour au pouvoir…


Mouna - 15 décembre 2021

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